La pauvreté ? Venez nous voir pour en parler

L’association ATD-Quart Monde de lutte contre la misère interpelle médias et journalistes pour que la parole des personnes pauvres soit réellement prise en compte et non plus caricaturée

Les journalistes ? « J’ai vécu avec eux de bonnes expériences, mais aussi d’autres, désastreuses. Quand ma femme a été assassinée en 1991 – aujourd’hui je sais en parler – la presse n’a pas été très sympathique avec nous, on a fait la « une » (Voix du Nord)… Je refuse d’être catalogué « milieu défavorisé »… c’est stigmatisant, on a le sentiment que l’on traite une catégorie de personnes inférieures…  ».

A contrario «  quand nous avons organisé une initiative sur la loi DALO, à Armentières, la Voix du Nord a accepté de publier un encart ; puis un gars est venu et, à notre surprise à tous, il est resté toute la séance. Son article était magnifique !  ».

Il n’y avait pas beaucoup de journalistes pour assister à la conférence/débat organisée au Club de la Presse Nord-Pas de Calais avec ATD/Quart Monde, association de lutte contre la misère, ce lundi 12 octobre sur le thème «  Journalisme et pauvreté, comment en parler ?  ». Pourtant, comme vient d’en témoigner Joël Lemahieu, membre de l’association, en réponse à une question de Régis Verley, vice-président du Club, il y a indéniablement matière à débat pour une profession très éloignée du monde de la pauvreté. «  Les 7 à 8 millions de pauvres sont sous-représentés dans les médias, et, quand c’est écrit, c’est sous forme de caricature ou avec une tonalité négative  », il y a une réelle «  difficulté d’exercice du journalisme face à un sujet qui n’est pas d’actualité, parce que permanent, pas glorieux et pourtant récurrent, important  » déplore Pascal Percq, chargé de la communication à ATD-Quart Monde. Celui-ci stigmatise par ailleurs «  le discours de la campagne présidentielle de 2007 sur les « assistés » qui a alimenté une vision caricaturale des choses. C’est « une atteinte à la dignité, à la démocratie », estime le journaliste bien connu de quelques générations de confrères dans la région, jeune retraité passé à la communication d’ATD-Quart Monde. Venu avec Joël Lemahieu et Isabelle Doresse, déléguée régionale (1), il est d’ailleurs l’auteur d’une chronique sur le sujet à paraître sur ce site.

Des sujets qui ne sont pas « vendeurs » ?

Quelles sont les causes de cette situation ? S’agit-il d’un milieu que les journalistes n’osent pas aborder parce que trop éloigné, trop complexe pour eux ? Certaines conceptions du journalisme et de la presse aujourd’hui n’expliquent-elles pas le constat d’ATD Quart Monde ? Pas « vendeurs » les sujets sur les pauvres dès lors qu’ils n’offrent pas un côté sensationnel à exploiter ?

Les représentants d’ATD-Quart-Monde évoquent, entre autres, ce long reportage de l’équipe Delarue bloqué par la rédaction parce que «  pas assez larmoyant  ». Un journaliste cite le cas d’une « commande » d’un quotidien national à son correspond régional pour «  trouver une famille SDF avec deux enfants, si alcoolique tant mieux  »
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«  Ce n’est pas qu’une question de pauvreté, c’est pareil pour les immigrés  » estime pour sa part Philippe Allienne. Celui-ci fait remarquer que si les médias savent détacher des journalistes spécialistes des chroniques judiciaires, ce n’est plus le cas pour la rubrique « social » qui disparaît en tant que tel. «  Il manque une culture sur ce thème et plusieurs autres dans les rédactions  ».

C’est d’ailleurs en lien avec plusieurs événements à venir que les représentants d’ATD-Quart Monde étaient au Club ce lundi. A la veille de l’année européenne de lutte contre l’exclusion, ils préparent la Journée mondiale contre la misère, le 17 octobre, ainsi qu’un atelier-rencontre entre journalistes européens et des personnes en situation de pauvreté, à la Commission de Bruxelles, le 28 octobre.

Un combat pour les droits pour tous

Le mouvement fondé par le père Wrezinski se pose d’ailleurs en interlocuteur de premier plan pour évoquer ces sujets. «  Non confessionnel mais fondé par un prêtre, non politique mais contribuant à élaborer des lois, caritatif mais ne distribuant rien  », il «  combat pour les droits pour tous  ». En commençant par donner la parole aux intéressés, parce qu’«  il n’y a que ceux qui la vivent (la pauvreté) qui peuvent en parler  » souligne Isabelle Doresse.
Membre depuis 22 ans de l’association qui lui a permis de revivre en quelque sorte, actif depuis 1999 et la loi contre l’exclusion à laquelle son association « a largement contribué », Joël Lemahieu explique comment il accompagne les familles dans les services sociaux et autres, effectue avec elles des démarches peu évidentes «  tellement elles ont l’habitude d’être montrées du doigt… ». «  Je peux parler avec les familles dans ces situations…parce que je suis comme elles  » dit-il. Comme lui, personnes en grande pauvreté et leurs « alliés » - les volontaires qui les soutiennent, agissent au sein de quinze groupes locaux dans la Région, travaillent sur le thème des droits fondamentaux, font connaître et veillent à l’application de la loi DALO (droit au logement opposable), partagent six à huit fois l’an avec des spécialistes dans le cadre de l’Université populaire, aident des jeunes à décider et réaliser leurs projets, etc.

ATD-Quart Monde a beaucoup à dire également sur le RSA, ses limites et ses risques : baisse de revenus souvent par rapport au RMI, incitation aux bas salaires pour les employeurs, démarche inquisitrice sur les revenus des familles, pouvant conduire les enfants à se retourner contre leurs parents et inversement. Ses membres interpellent les journalistes : « N’hésitez pas à venir nous voir pour en parler ».

M.D.

1) ATD-Quart Monde Nord-Pas de Calais
11 rue Barthélémy Delespaul
59000 LILLE
03.20.57.69.75
dr.nordpasdecalais atd-quartmonde.org


 

 

 

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