Vérité brûlante

Si besoin était — et il est — une clarification pourrait s’imposer sur la nature de la mobilisation pour les journalistes retenus en otage en Afghanistan. Contrairement à ce que l’on a pu entendre, et que l’on entendra encore, cette mobilisation n’a rien de corporatiste. Il ressort du rôle des Clubs de la presse, comme des associations de journalistes, des syndicats et des rédactions, de sensibiliser l’opinion sur cette situation scandaleuse. Il n’est tout simplement pas admissible que des journalistes, dont le métier est d’informer, puissent voir leurs investigations et enquêtes limitées pour des contingences sécuritaires, politiques ou financières.

Victimes et bourreaux

Du reste, toute prise d’otage est odieuse. On ne saurait confondre victimes et bourreaux. Les prises de risque s’apprécient sur le terrain par les personnes concernées. Cela vaut pour les travailleurs humanitaires, les scientifiques, les militants, tous ceux qui, par leur travail, leur action, veulent contribuer à une meilleure compréhension du monde. A cet égard, les propos du chef de l’Etat, lundi 12 juillet sur France 2, n’apparaissent ni satisfaisants, encore moins glorieux.

Interrogés par David Pujadas sur la situation d’Hervé Ghesquière et de Stéphane Taponier, Nicolas Sarkozy semble avoir franchi une étape supplémentaire quant à sa vision des otages, quels qu’ils soient. S’agissant des journalistes de France 3 et de leurs trois collaborateurs, « Nous n’avons pas d’inquiétude brûlante », a-t-il déclaré. Et d’ajouter aussitôt : « J’ai en revanche une inquiétude brûlante pour un autre de nos compatriotes retenu en otage quelque part dans le Sahel. C’est ça, la vérité ».

Bien sûr que chaque otage, dans le monde, doit retenir notre attention. Bien sûr que la presse doit en parler et doit le faire de manière responsable. Si le propos du président consistait à dénoncer un désintérêt des médias pour le sort de Michel Germaneau, cet ingénieur à la retraite de 78 ans, enlevé par des terroristes d’Al Qaeda au Nord du Niger, le 22 avril dernier, alors oui, il a raison de le dire. Nous devons, nous journalistes, informer sur cette réalité et sur les contraintes géopolitiques qui pèsent sur les conditions de soutien et de libération de M. Germaneau.

Hiérarchisation des otages

Mais ce discours nous laisse perplexe. La faute, très certainement, au contexte dessiné par l’Elysée lui-même et par l’Etat-major de l’armée. Depuis que l’équipe de France Télévisions a été capturée par un groupe de talibans, en Afghanistan, nous avons entendu tour à tour des paroles mettant en cause le professionnalisme d’Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, des déclarations accusatrices sur les risques que ces derniers font prendre à ceux qui sont chargés de les secourir, des mots outrageants sur le coût que représente une opération de sauvetage et sur la valeur marchande des otages, des promesses menaçantes sur les explications qu’ils auront à fournir à leur retour en France.

Ce lundi 12 juillet, un nouveau pas a été franchi avec cette sorte de hiérarchisation des otages et du degré de danger qu’ils courent. La discrétion prônée par l’Elysée et par le gouvernement n’est décidément pas la qualité première du chef de l’Etat et des armées. Certes, le ministre de la Défense, Hervé Morin, a voulu se montrer rassurant, lors des cérémonies du 14 juillet, lorsqu’il a affirmé que les journalistes sont en vie. Il n’est pas moins vrai que les quatre mois de silence qui ont entouré leur captivité n’ont rien apporté de positif. Sauf, justement une preuve de vie : la vidéo diffusée par France 3 et la révélation de l’identité des otages. Mais après 200 jours de détention, les informations sur l’évolution des tractations sont bien minces, pour ne pas dire inexistantes. On nous assure que les négociations avec les ravisseurs sont en bonne voie alors que, quelques jours plus tôt, Nicolas Sarkozy confiait au député du Nord, Bernard Gérard, que ces négociations venaient de reprendre ! C’est ça, la vérité.

Depuis quelques jours seulement, la mobilisation semble vouloir prendre de l’ampleur. Les chaînes dé télévision publique ont enfin mis en place le décompte tant attendu des jours de détention. Les portraits commencent à s’afficher de manière significative. Les élus commencent à montrer leur inquiétude. C’est ça, la vérité.

Au sein des rassemblements organisés par les comités de soutien et les associations, on constate que les citoyens se disent mal informés et posent des questions sur les hésitations et sur le caractère tardif de cette mobilisation. C’est ça, la vérité.

Comme l’ont rappelé certains élus qui ont participé au rassemblement lillois, ce 15 juillet, il est du devoir de l’Etat de tout mettre en œuvre pour délivrer Hervé, Stéphane, Mohamed, Ghulan et Satar sans se poser d’autres questions. Enfin ! Pourvu que la période estivale ne remette une chape de plomb. Reste surtout à espérer qu’à leur retour, Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier n’aient pas, comme vient de le faire l’ex otage au Liban Jean-Louis Normandin, à se montrer révoltés par l’attitude des autorités françaises. Jean-Louis Normandin, choqué par le texte qui vient d’être débattu à l’Assemblée nationale sur le remboursement des frais de libération des otages, pose la bonne question : celle de savoir si un citoyen français appartient ou non à la Nation.

C’est ça, la vérité brûlante.

Philippe Allienne

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