Etats généraux de la presse écrite : "Restons vigilants après la publication des propositions"

Lors du débat public organisé à l’Ecole supérieure de journalisme de Lille, le 12 décembre, Lorenzo Virgili (l’un des coordinateurs du RAJ) a appelé la profession à redoubler de vigilance. Le livre vert des propositions sera remis le 8 janvier à Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication. Les décisions qui vont être prises par la suite méritent en effet l’attention des journalistes. Les autres participants ont approuvé cet appel. Jérôme Bouvier, l’organisateur des Assises internationales du journalisme, organise une réunion spéciale à Paris, le 20 janvier. En ligne de mire, toujours, le statut des journalistes, l’avenir des droits d’auteur, la formation, les concentrations.

La seconde réunion publique des Etats généraux de la presse écrite, à la maison de la Radio, avait permis de faire le point sur les travaux des quatre pôles de travail. Celui que préside Brunot Frappat, « les métiers du journalisme » a mis l’accent sur l’image du métier de journaliste telle qu’elle est perçue par le public. « Le métier suscite à la fois critiques et séduction. Ce n’est pas nouveau », insiste Brunot Frappat avant de dresser une longue liste des « points de souffrances ».

Points de souffrance

Que dit-on des journalistes, selon ce groupe de travail ? Il sont incultes ; ils font du suivisme en parlant tous de la même chose au même moment ; ils excellent dans le flou et l’a peu près ; ils cèdent à la précipitation et au diktat de l’immédiat ; ils sont superficiels ; leur sens de la hiérarchisation des événements est discutable ; ils n’ont pas d’esprit de suite ; ils sont négligents quant à la vérification des faits ; ils entretiennent une connivence avec les puissants. »

Ouf, n’en jetez plus ! Les sondages qui paraissent tous les ans le confirment à chaque fois, « les journalistes ne font pas sérieusement un métier sérieux », assène Bruno Frappat. Pourtant, la liste est encore plus longue quand on considère les « souffrances exogènes ». Entendons par là l’adaptation à marche forcée aux « évolutions technologiques », l’exigence grandissante liée à la gestion et au marketing et l’amenuisement du rôle des journalistes à la tête des grands groupes de presse.

Pourquoi la défiance du public ?

Cela conduit naturellement à un dangereux mélange des genres entre l’information, la communication et la publicité. Le lecteur ne s’y retrouve pas. « Ce qui me frappe, répond Pascale Colisson (1), journaliste à Courrier Cadres et membre du Rassemblement des associations de journalistes (RAJ), c’est que l’on ne pose pas réellement la question de ce qui a amené cette défiance du lecteur à notre égard. »

Par exemple, observe la journaliste, on parle peu de l’investigation de terrain et des contraintes qui freinent ce travail. De la même façon, la déontologie dont on déplore tant le non respect, relève aussi d’une « question de moyens ». Les conditions de travail, le tempo imposé, etc. ne favorisent pas le nécessaire travail de vérification et de recoupement des sources. Au contraire, le "copier-coller" devient un sport à la mode.

Un conseil de presse, dont l’idée à été défendue lors de la réunion publique parisienne par Bertrand Verfaillie, fait « froid dans le dos  » de Bruno Frappat qui dénonce son « centralisme ». «  Il faut pourtant penser à un droit de regard sur la façon dont travaillent les journalistes », estime Pascale Colisson.

Cette dernière dénonce encore l’absence des pigistes au sein de la commission de Bruno Frappat. Elle rappelle à juste titre que la Commission de la carte, pour l’attribution du précieux document, a abaissé le seuil de rémunération mensuelle requis à 600 euros. La moitié du Smic !

Le livre vert n’apportera sans doute pas de (bonnes) surprises. Au moins, des points aussi sensibles que la formation ou les droits d’auteur auront été abordés. Mais si l’on se réfère à la séance publique du 1er décembre, il faut attendre les longs discours ronronnants et empreints de généralités avant d’aborder les questions essentielles. Ces questions arrivent lorsque le public prend la parole. On sait qu’il en allait tout autrement lors des séances des groupes de travail où, précisément, ce public a manqué de représentation.

Philippe Allienne

(1) Pascale Colisson ne participe pas aux Etats Généraux. Elle a assisté et demandé la parole, en tant que « outsider », lors de la réunion publique du 1er décembre.

Voir les autres articles sur les Etats généraux de la presse écrite :
- L’avenir de la presse en débat
- Etats généraux : Les craintes se précisent et la mobilisation grandit
- Médiapart dénonce les Etats généraux de la presse : « Le pouvoir organise son propre contre-pouvoir »
- Etat Généraux de la presse : le cri de RAJ de la profession

Signature et droits d’auteur 

L’historien des médias, Patrick Eveno, développe une position très libérale concernant le statut du journaliste et les droits d’auteur. Il le lie à la signature des articles qui, pour lui, n’a pour objet que de permettre le versement de droits d’auteur en cas de réutilisation des écrits. Il l’a dit lors de la réunion publique des Etats généraux du 1er décembre. Ivan Levaï et Pascale Colisson ont vivement réagi. Extraits.

Patrick Eveno – Historien des médias

« Les journalistes n’ont toujours pas choisi leur statut : salarié ou auteur. Ils veulent le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière ! Si vous êtes salariés vous ne pouvez pas être auteurs en même temps ! Si vous voulez être auteurs, vous acceptez d’être pigistes et de ne pas avoir de retraite. Imaginez Victor Hugo, à 65 ans, dire « je pose ma plume et je prends ma retraite… ». Nous n’aurions pas eu « Les misérables » !
Patrick Eveno s’interroge d’autre part sur le sens de la signature : « Dans The Economist », on ne signe pas. Qui s’intéresse à la signature des journalistes ? Pratiquement personne. Sauf leurs propres collègues ! ».

Ivan Levaï – Chroniqueur à France Inter

« La signature, c’est la seule garantie contre l’anonymat ! elle peut être collective. Mais un journal ne peut être la voix de son propriétaire. Quand je lis le Figaro, j’aime savoir si ce sont les journalistes qui s’expriment ou si c’est M Dassault. »

Pascale Colisson (journaliste à Courrier Cadres – RAJ)

« Il ne s’agit pas, comme le prétend Patrick Eveno, de gagner le beurre et l’argent du beurre. La question posée, pour la journalistes, est celle de la responsabilité de leurs écrits. Elle est celle de la traçabilité de l’information. C’est une question de responsabilité morale. Si les journalistes sont attachés à leur signature, ce n’est pas tellement pour les droits d’auteur supplémentaires qu’ils touchent lorsqu’il y a réédition de leurs articles. La plupart des rédactions qui ont signé des accords d’entreprise sur le sujet doivent payer annuellement 200 à 300 euros par an aux journalsites concernés pour avoir la possibilité de reprendre leurs écrits sur un autre support. »

 
 
 

Faut-il repositionner les journalistes face aux marchands ?

Consultant en médias et multimédias, Loïc George s’est interrogé sur le rôle du journaliste dans les années à venir. S’ils sont incontestablement la cheville ouvrière des entreprises de presse, ils auraient intérêt, selon lui, à raisonner comme des « créateurs de contenu ». Témoignage.

« Il faut sortir de l’écrit, de la vidéo, du html, etc. Les journalistes sont des créateurs d’idées, de contenu. Il faut vous préparer à voir ces idées, ces contenus, rassemblés sur des bases de données multimédia. Ensuite, vous devrez vous battre pour que ces contenus soient distribués sur un support papier, radio, web, mobile, etc. Mais ce sera votre pensée, votre contenu. Et la question qui va se poser à vous, c’est comment vous faire rémunérer.

Le second pôle des entreprises de presse, ce sont les marchands. Il ne faut pas demander aux journalistes de vendre. Il ne faut pas demander aux marchands de faire du journalisme. Je pense que les méthodes de marketing doivent entrer davantage dans les entreprises de presse, pas pour écraser les uns ou les autres, mais parce que ce sont des techniques de vente qui vont permettre la diffusion de ces contenus multi supports.

Ainsi, il faut se préparer à avoir des journalistes créateurs de contenus multimédias avec un renfort, dans les entreprises, de gens du marketing pour vendre les contenus et faire des résultats. Quand on obtient les résultats, on peut se poser la question de savoir ce que l’on va en faire : on les reverse aux journalistes ? On les réinvestit dans un autre titre ? etc.

Commençons donc par repositionner les marchands et les journalistes. Il faut que les journalistes acceptent de se battre pour se faire rémunérer en tant que créateurs de contenu. »


 

 

 

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