« Votre ministre de l’immigration vient à Calais lundi, c’est pour nous aider ? ». C’est un jeune immigré érythréen à Calais, Abou, qui pose cette question, ce matin dans La Voix du Nord, alors que Claude Guéant s’apprêtait à venir dans le Pas-de-Calais (Calais, Laventie et Arras). Abou n’est pas en situation illégale et ne cherche pas à aller en Angleterre. « Comme une quarantaine d’autres à Calais, rapporte Laurent Decotte, il espère légitimement que l’Etat lui propose un hébergement ». Un représentant d’une association de migrants réagit à la question d’Abou : « Vous voyez, c’est beau, certains ont encore des illusions ». La Voix du Nord consacre ses deux pages d’ouverture à la visite ministérielle. Hervé Favre a interviewé Claude Guéant et revient sur ses propos concernant « la forte proportion d’enfants immigrés en échec scolaire ». Le ministre campe sur ses positions. C’est clair, « Claude Guéant reste ferme sur l’immigration », titre le quotidien.
Nord Eclair de ce lundi consacre sa Une à Dominique Strauss-Kahn. Quelques heures avant la comparution de ce dernier devant les juges de New-York, il passe en revue les différents scénarios possibles et résume les faits depuis l’arrestation de l’ex directeur du FMI, le 14 mai dernier à New York. Dans un encadré, Nord Eclair souligne à nouveau le contraste entre « un accusé traqué par les médias [et] une victime invisible ». Il précise : « Si la victime présumée est invisible, les médias ont de quoi alimenter l’insatiable appétit du public concernant DSK. »
Les « Indignés » de la place Richebé
Certes. Mais le public est-il aussi avide de tout savoir sur les livraisons de pizzas ou d’eau minérale au domicile luxueux des Strauss-Kahn ? Ce lundi après-midi, les chaînes de télévision montraient l’arrivée de DSK au tribunal, au bras de son épouse. I-Télé n’a pas manqué de noter le télescopage de deux images : les manifestantes habillées en femmes de chambre qui scandaient « Honte à toi ! » et le soutien d’Anne Sinclair.
Ce lundi à New-York, les femmes de ménage criaient donc leur indignation. C’est un fait, l’indignation se répand partout. Jusqu’à la place Richebé, à Lille, où plusieurs dizaines d’indignés ont lancé depuis la semaine dernière « une action non violente, qui s’inspire des événements en Espagne ». Lakhdar Belaïd, de La Voix du Nord y a consacré un reportage. Il y revient ce samedi dans les pages Région et Métropole. La place Richebé est occupée 24h sur 24 et, tous les soirs à 19h, une assemblée générale attire les passants. Elle réunit jusqu’à une centaine de personnes. Sur la place, on peut lire une multitude de messages tracés sur des cartons ou des banderoles. « Le site devient alors une sorte de lieu d’exposition où le passant se nourrit de dazibaos et juge leur contenu, sur le fond comme sur la forme », écrit Lakhdar Belaïd. Dimanche soir, les indignés s’interrogeaient sur le maintien du campement jour et nuit, mais de nouveaux venus plaidaient pour un maintien.
Il faut dire que les motifs d’indignation ne manquent pas (cf les « dazibaos » évoqués par La Voix). La simple lecture des titres de Liberté Hebdo du 3 juin est éloquente : « Hôpital public : patients et salariés sacrifiés » (sur l’hôtel, de la rentabilité). « le gel des salaires, ça suffit ! » (pour parler des bas salaires de la fonction publique). « Cheminots, verriers, habitants… même combat ! » (pour expliquer les actions revendicatives à Somain). « L’éducation prioritaire n’a plus la priorité à droite » (le rectorat taille dans les budgets de certains établissements difficiles ). La liste est longue. Il n’y a pas que Liberté Hebdo. Samedi, La Voix du Nord faisait son titre de Une sur son chariot-test qui surveille la hausse des prix dans la région : « +9% depuis janvier ». C’est énorme. Ce chariot, qui regroupe une liste de courses de 45 produits de marques en hypermarché (marques de distributeurs exclues), s’établit ce mois-ci à 109,72 euros. Il atteignait 100,66 € en janvier. « La hausse des prix est de fait continue depuis le début de l’année », commente Christian Canivez. Et de poursuivre : « La reprise économique crée des tensions sur les matières premières (céréales, café, sucres, etc.). En parallèle, la météo exceptionnelle de ce début d’année (temps sec et chaud) a des répercussions sur les prix : ceux des fruits et légumes (…)mais également et c’est encore plus visible, sur les boissons. » Et ce n’est pas fini. « L’été ne devrait pas arranger la situation : la chaleur attendue et la poursuite de la sécheresse, laissent augurer des prix qui vont encore augmenter ».
Un chariot-test record
Dans sa chronique de dimanche, Jean-Michel Bretonnier revient sur ce chariot-test et le met en perspective avec l’actualité internationale. Les affaires Strauss-Kahn, Tron et Ferry « ont relégué un temps les considérations économiques et sociales dans les pages spécialisées de nos journaux, observe le rédacteur-en-chef de La Voix. Mais elles reviennent en force : les « indignés » de Madrid qui ne supportent plus d’entrer dans la vie adulte par la porte du chômage ; le prêt accordé par les Européens pour sauver la Grèce de la banqueroute et la monnaie unique de l’effondrement ; le déficit américain qui touche le plafond déjà inouï établi par le Congrès à 14 300 milliards de dollars ! ». Et le chariot alors ? Il y arrive : ce chariot-test a pointé samedi « une nouvelle menace qui s’ajoute aux déficits publics et complique la sortie de crise. (…) L’inflation guette nos économies et risque de faire baisser la consommation puisque les prix au détail augmenteront ». Anticipant sur la campagne pour la présidentielle (à partir de l’automne), Jean-Michel Bretonnier estime que « les Français ne se laisseront plus distraire par des rumeurs colportées sur des plateaux de télévision. Ils poseront des questions essentielles sur leur pouvoir d’achat, l’emploi des jeunes, l’avenir du service public et du modèle social français ».
Indignation à tous les niveaux. Mathieu Hébert, qui signe l’éditorial de Liberté Hebdo, n’est pas en reste. Il s’intéresse aux « Indignés » qui se rassemblent sur les places des villes de France pour réclamer un monde plus solidaire. S’ils « sont moins nombreux qu’en Espagne ou au Portugal », il ne faut pas s’y tromper. Pour lui, « la majorité élue en 2007 n’est plus en phase avec les citoyens électeurs ». Alors, « le pouvoir serait mieux inspiré d’écouter la vraie majorité, celle qui manifeste dans les rues, celle qui compte ses pièces à la caisse du magasin, celle qui éprouve de la honte à ne pas pouvoir finir dignement ses jours (…) ». Sinon ? Sinon, « le gouvernement pourrait aider les indignés à se souvenir qu’ ensemble tout devient possible’’ ».
Même le bimensuel Autrement Dit s’indigne. « Sommes-nous encore des citoyens ou des numéros ? » s’interroge Jean-Claude Branquart dans l’édito du dernier numéro (daté du 27 mai). Réponse dans l’entretien accordé par le président de la CNIL, Alex Türk, à Jonathan Blanchet. Ce dernier a interrogé le sénateur du Nord sur son dernier livre, « La vie privée en péril » où il témoigne de son expérience (25 ans !) au sein de la commission nationale chargée de protéger les libertés individuelles. Et Alex Türk n’est guère optimiste : « Dans les neuf ans qui viennent, nos libertés d’expression et d’aller et venir seront remises en question et on n’y reviendra plus ». En cause : la pression des technologies numériques.
La culture de l’aveu
Il est aussi question de libertés individuelles, dans le « Petit Déj » de samedi de Nord Eclair. Florence Traullé a rencontré le bâtonnier de Lille, Me Emmanuel Masson et a recueilli son avis sur la réforme de la garde à vue. Selon lui, depuis l’entrée en application de cette réforme, le 15 avril, les choses se passent plutôt bien. Mais l’essentiel, défend-t-il, est de « passer à une vraie culture de la preuve. Il y a toujours plus de risque d’erreurs judiciaires quand un dossier repose essentiellement sur les aveux ». On notera par ailleurs que Me Masson juge les médias à la fois « utiles et dangereux ».
Précisément, Liberté Hebdo consacre deux pages aux mauvaises pratiques du journalisme. Elsa Grigaut revient sur le reportage de TF1, il y a un an et demi, sur les habitants du quartier des provinces françaises à Maubeuge. Ce reportage, intitulé « Peur sur la cité » avait stigmatisé les habitants. Ludovic Finez parle aussi de ces « expériences traumatisantes » qui « alimentent la défiance entre habitants et journalistes ». Il évoque un travail actuellement mené par trois journalistes pour comprendre cette fabrique de l’information et pour tenter de trouver un meilleur rapport aux habitants. Membre de ce trio, Noémie Coppin indique ainsi que tout journaliste « devrait travailler dans les quartiers comme sur un autre terrain, honnêtement, avec des sources multiples ». Mais Ludovic Finez pense qu’il est aussi nécessaire « de s’interroger sur le fonctionnement des entreprises de presse, gérées pour la plupart comme des entreprises classiques, avec des objectifs de rentabilités clairement affichés ».
Le foot et la fourrure
La rentabilité et le business, encore et toujours. Nord Eclair de samedi évoque l’argent du football. « les joueurs de football sont-ils trop payés ? », titre-t-il dans sa rubrique polémique. « Oui ! » répond Fabien Desmet, président du club amateur de l’US Tourcoing FC pour qui « le budget total de notre club ne pourrait même pas couvrir un mois de salaire du joueur le moins bien payé du LOSC ! ». « Non ! » rétorque François Stock, président du club des supporters du Losc, « Dogues du Net ». « Au Losc, dit-il, les Hazard, Mavuba ou Landreau coûtent cher mais ils ramènent des spectateurs dans le stade et à la télé. C’est un échange gagnant-gagnant avec le club ». « Selon le magazine Nordway, rapporte Bruno Renoul, Eden Hazard touche un salaire annuel de 2,4 millions d’euros. Et l’ex gardien du RC Lens, Vedran Runje, émargeait cette année à 110 000 euros mensuels. » De toute façon, signale notre confrère, « ils sont loin des 31 millions d’euros de salaire brut annuel du Barcelonais Lionnel Messi, le joueur de football le mieux payé au monde »…
Mais tout n’est pas que fric ! La preuve : ces douze modèles anonymes qui ont posé nues dans un studio de Roubaix pour protester contre la fourrure animale. Elles l’ont fait gratuitement. Le photographe, le studio et les maquilleuses aussi. Et l’association internationale Peta, qui fait habituellement appel à des stars, pourrait bien estampiller cette démarche, annonce Youenn Martin dans Nord Eclair de dimanche. De son côté, La Croix du Nord, sous la plume de Thomas Levivier, fait le point sur « Humanicité », le nouveau quartier qui se construit à Lomme et Capinghem. « Ce projet, porté par l’Université catholique de Lille, commence à voir le jour ». Il est ambitieux car, écrit La Croix , « il veut mixer les fonctions et les populations quand la société sort à peine du cloisonnement ».
Mais que ces deux signes apaisants ne nous bercent pas d’illusions. Le monde reste fou. La preuve, l’affaire du concombre espagnol finalement innocenté. On ne sait toujours rien sur l’origine de la bactérie. Samedi, Olivier Berger, de La Voix du Nord, livrait un reportage de Hambourg. Le Syndicat Agricole invite quant à lui le consommateur à « faire la part des choses et à acheter de manière responsable. »
Philippe Allienne