Déployée au dessus de l’entrée du Théâtre du Nord à Lille, place de Gaulle, ce vendredi 19 mars vers 11 heures, une banderole rappelle que deux journalistes de France 3, Stéphane et Hervé, ainsi que leurs trois accompagnateurs afghans, sont pris en otages en Afghanistan depuis le 29 décembre dernier (1). La même opération s’est déroulée simultanément dans plusieurs grandes villes de France, dans le cadre d’une initiative des Clubs de la Presse du Nord-Pas de Calais (Lille), de Lyon, Rennes, Strasbourg, Paris et Montpellier, de RSF et de l’UCPF. Elle s’inscrit en continuité des actions menées depuis janvier dernier par RSF et les syndicats de journalistes, le 9 mars en dernier lieu, visant à briser le silence observé sur le sort des otages, à soutenir ces derniers et leurs proches.
Discrétion ne veut pas dire silence
Certes, les représentants de l’Etat comme la direction de la chaîne publique ainsi que les familles des otages demandent d’observer la discrétion sur cette affaire, officiellement afin de ne pas mettre en danger les deux journalistes et de leurs compagnons, de ne pas faire échouer les négociations, les initiatives susceptibles de permettre la libération.
Cependant, « la discrétion ne veut pas dire le silence » a souligné ce vendredi Marc Dubois, représentant le président du Club de la Presse Nord-Pas de Calais, Philippe Allienne, faisant siens les propos de Yann Fossurier, président de la Société de journalistes de France 3. Ce dernier faisait d’ailleurs remarquer que cet appel au silence était d’autant moins admissible « que des attaques indignes à l’encontre de nos collègues ont brisé cette consigne de discrétion ». Nos confrères auraient-ils pris des risques inconsidérés, engendrant des opérations de recherche onéreuses ? Au contraire, Elise Lucet, présentatrice de l’émission « Pièces à conviction » pour laquelle ils étaient en mission, rappelait dernièrement que « leur professionnalisme ne pouvait être remis en cause ». Dans le même sens, Philippe Rochot, journaliste de France 2, grand reporter et Prix Albert Londres en 1986, a estimé pour sa part qu’il était « nécessaire de trouver un juste milieu entre silence et mobilisation », mettant l’accent notamment sur les mérites professionnels des deux reporters (2).
Dans un contexte particulier certes, dangereux sans aucun doute, comme c’est le cas dans de nombreuses zones de guerre ou d’insécurité, Stéphane et Hervé enquêtaient sur la construction d’une route dans la province de Kapisa, au nord-ouest de Kaboul. Ils faisaient leur métier. Dominique Gerbaud, président de Reporters sans frontières, invitait dernièrement à ne pas se tromper d’adversaire : « Ce sont bien les preneurs d’otages qui privent nos deux confrères de leur liberté, cette captivité est un danger pour une certaine idée du journalisme d’investigation ». C’est bien de droit d’expression et à l’information, de liberté et de démocratie dont il est question, a insisté Marc Dubois. En France comme ailleurs, que serait l’information si elle n’était que la transmission de messages, de dépêches prédigérés, formatées (comme c’est déjà le cas d’ailleurs hélas), rédigées par des « journalistes » encadrés voire commentant à distance ? Par ailleurs, fait-il encore remarquer, comment peut-on s’indigner des coûts engendrés par les démarches destinées à retrouver, à sauver Stéphane et Hervé, au regard des milliards d’euros dépensés pour faire la guerre en Afghanistan… mais aussi ailleurs où des dizaines de journalistes sont enlevés, assassinés.
Déjà, pour Florence Aubenas, Christian Chesnot et Georges Malbrunot
Stéphane et Hervé ne sont en effet hélas pas des cas à part. Et le Club de la Presse Nord-Pas de Calais a d’autant plus de raisons de s’associer aux actions de solidarité les concernant que l’un d’eux, Hervé, est originaire de cette région où il a des proches. Il faut également rappeler que le Club s’était particulièrement investi à l’époque pour la libération de Christian Chesnot, Georges Malbrunot, Florence Aubenas et les autres otages détenus en Irak. De même qu’il n’hésite pas à manifester sa solidarité avec les confrères victimes des atteintes à la liberté de la presse. Il ne fait aujourd’hui que poursuivre dans cette voie.
M.D.
Photos : Gérard Rouy
(1) Outre les confrères de la rédaction de France 3 et du Club de la presse, des reportages effectués par Wéo, Grand Lille TV, Nord-Eclair, etc., on notait la présence des syndicats de journalistes de France 3 Nord-Pas de Calais, de Claude Brouillot, directeur de France Bleu Nord, de MM Leturcq, adjoint au maire d’Arras, vice-président du Modem Pas-de-Calais et de Marc Santré, représentant des Verts du Nord.
(2) Philippe Rochot sera au Club de la Presse Nord-Pas de Calais le mardi 30 mars à 11 heures, pour la présentation de son livre « Dans l’Islam des révoltes ».