« Depuis plusieurs semaines, nous constatons avec inquiétude la multiplication d’initiatives législatives et politiques susceptibles d’attenter à la liberté de la presse. Celle-ci est pourtant le fondement de notre métier, mais surtout de toute vie démocratique.
Cette malheureuse série a commencé par la rédaction ambiguë du schéma national de maintien de l’ordre, ambiguïté aggravée depuis par les propos du ministre de l’Intérieur, pouvant laisser croire à une obligation pour les journalistes d’effectuer une demande d’accréditation auprès des pouvoirs publics pour couvrir une manifestation. Une telle perspective serait évidemment inacceptable et contraire tant à l’esprit qu’à la lettre de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Le travail de la presse doit rester libre, y compris et surtout lors des manifestations. La volonté affirmée d’assurer la protection des journalistes ne peut se traduire in fine par un encadrement et un contrôle accrus de leur travail.
La série s’est poursuivie avec les velléités de modifier la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, heureusement abandonnées depuis, sous prétexte de mieux réprimer les appels à la haine ou à la violence en ligne. En réalité, la prétendue impunité sur Internet ou la lenteur – réelle, elle – dans le traitement des affaires tiennent bien plus à l’insuffisance des moyens matériels de la Justice qu’aux contraintes procédurales.
On ne peut que se féliciter du recul opéré sur ce point, mais l’inquiétude demeure de constater que le projet initial prévoyait bien de mettre fin aux garanties procédurales dont bénéficie la presse depuis plus d’un siècle.
Enfin, l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale, entend, cette fois, compléter la loi de 1881 précitée en réprimant la diffusion de l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un agent de la police nationale ou de la gendarmerie nationale dans le cadre d’une opération de police « dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique ».
Le caractère vague et potentiellement très large de l’incrimination ainsi créée aurait des effets délétères sur le travail journalistique et éditorial. La Défenseure des droits s’est d’ailleurs exprimée en faveur du retrait pur et simple de cette disposition, en dépit de sa réécriture, rappelant que « l’information du public et la publication d’images relatives aux interventions de police sont légitimes et nécessaires au fonctionnement démocratique ». Nous ne saurions trop souscrire à ce constat.
Nous comprenons et partageons sans réserve les préoccupations de la puissance publique quant à l’efficacité de la lutte contre le terrorisme et à la protection des forces de l’ordre. Mais celles-ci ne nécessitent en aucune façon de toucher aux conditions d’exercice des métiers d’éditeur et de journaliste, ni aux textes qui les régissent. On ne saurait confondre les campagnes de haine lancées par certains sur les réseaux sociaux et le travail journalistique effectué par des professionnels. Il faut ici rappeler que les éditeurs sont responsables de ce qu’ils publient, à la fois moralement et pénalement.
Quelle que soit la part de maladresse involontaire dans les écrits et les propos des dernières semaines, ce sont là de bien mauvais signaux qui sont envoyés non seulement aux médias d’information, mais à l’opinion tout entière, précisément au moment où les valeurs de liberté et de tolérance sont mises en cause.
Il est, à nos yeux, irresponsable de laisser entendre que la liberté de la presse et les textes qui la protègent seraient vecteurs d’incitation à la haine, ni de délits quelconques, ni encore qu’ils entraveraient le bon fonctionnement de la justice.
Soyez assuré que nous resterons extrêmement vigilants sur ces sujets et continuerons à défendre la loi de 1881, garante de nos libertés. »
Les organisations signataires de cette lettre sont : Alliance de la presse d’information générale, qui regroupe la quasi-totalité des titres français d’information politique et générale (presse régionale, départementale, locale et nationale) dont La Voix du Nord, le Syndicat des éditeurs de presse magazine (SEPM), la Fédération Nationale de la Presse d’information Spécialisée (FNPS), le Syndicat de la Presse Indépendante d’Information en Ligne.