La presse gratuite n’est pas en reste. « Enfin libérés ! », pour Métro, et toujours les mêmes portraits ; « Libres » pour 20 minutes, mais avec les photos plus récentes que l’on connaît de nos confrères. Direct Lille est plus original avec un « Ouf ! » de soulagement sur une photo prise au cours d’une manifestation de soutien.
La Voix du Nord comme Nord Eclair sont dithyrambiques avec respectivement quatre et cinq pages en tête de cahier. Soulignant l’actualité politique chargée du moment, Patrick Pépin voit dans l’annonce de cette libération « une occurrence que [nos confrères de France 3] ne pourront qu’apprécier. L’actualité, commente-t-il, est parfois facétieuse à bon escient ». Nul doute que personne, sauf sans doute les services secrets et les représentants de l’État, ne s’attendait à la libération des deux journalistes le jour même où ils auraient entamé leur 19ème mois de détention.
A commencer par Roger Lecointe, le petit cousin d’Hervé Ghesquière qui s’est très tôt impliqué dans la mobilisation. « Mardi, on était encore à Compiègne à faire signer des pétitions avec les parents de Stéphane Taponner », déclare-t-il à Christelle Jeudy, de Nord Eclair. Et d’admettre : « Après deux mois sans nouvelles, on n’y croyait plus à cette libération. On a eu tellement de faux espoirs ». Avec La Voix du Nord, il va plus loin : « Avec ma cousine, [la maman d’Hervé] nous avons un certain âge, il nous est arrivé de penser qu’il pouvait être mort »..
Nouvelle inattendue
Même surprise pour Patricia Philibert, à Paris, l’une des porte-parole du comité national de soutien. Mercredi après-midi, ce comité terminait son rassemblement. Patricia Philibert confie : « Je venais de dire au micro que quelques vents de liberté et d’optimisme soufflaient depuis Kaboul. Mais qu’on devait rester circonspects. On se dispersait quand j’ai entendu un grand cri ». Ce cri, précise Nord Eclair, « c’était celui de Béatrice Coulon, la compagne d’Hervé, qui venait d’apprendre la nouvelle de l’Élysée ».
A Carine Bausière, de La Voix du Nord, elle apprend que c’est Nicolas Sarkozy qui venait de l’appeler en personne. Elle assure aussi avoir participé à ce rassemblement parisien par « pur hasard ». « … je ne devais pas m’y rendre. Mais j’ai senti que ma place était là ». A partir de là, dit-elle, « j’ai été prise dans un bain médiatique et je devais bien ça à tous les journalistes qui ont respecté cette discrétion ». Un choix, la discrétion, que Béatrice Coulon a fait dès le départ et qu’elle a toujours assumé. Émue et soulagée, elle a pu rapidement parler au téléphone avec son compagnon. « … j’ai vite constaté qu’il avait gardé son humour, ce qui laisse penser qu’il est en forme » se rassure-t-elle.
Applaudissements à France 3 (à Lille), joie des soutiens lillois, décrochage des portraits par le Club de la presse et la mairie de Lille, nombreuses réactions de la classe politique régionale, fête spontanée à Paris, les quotidiens relatent dans le détail la liesse et l’effervescence de ce mercredi après-midi. On lira aussi avec intérêt l’article d’Olivier Berger, dans La Voix, qui revient sur ces 547 jours d’ « impensable angoisse », sur le professionnalisme des deux journalistes, sur le travail des autorités françaises, la mobilisation, les douches écossaises, etc. avant de conclure : « En août, on avait ainsi titré un papier à leur sujet : ’’Les gars, il faut tenir... ’’ Ils ont tenu ».
Le coût et « l’imprudence coupable » ne sont pas oubliés
- Décrochage de la bâche de soutien à Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier de la façade de la Mairie de Lille, le 29 juin 2011 (Photo Hubert Van Maele – Nord éclair)
Mais si le moment est à la joie, les journalistes n’oublient rien des critiques et des propos peu amènes lancés en janvier 2010 dans les hautes sphères de l’État. Dans son éditorial, le rédacteur en chef de La Voix du Nord, Jean-Michel Bretonnier revient sur ces propos tenus par « un haut gradé de notre armée » et un « proche conseiller du président » qui avaient reproché aux deux reporters une « note un peu salée » et une « imprudence ». « On leur avait bien dit qu’il ne fallait pas y aller. », ironise-t-il après avoir censuré avec gourmandise le nom des auteurs, le Général Georgelin et Claude Guéant, à l’époque chef d’État major et secrétaire général de l’Élysée. Et de décocher à leur encontre : « Sauf qu’un journaliste qui ne regarderait que dans la direction indiquée par les autorités se serait évidemment trompé de métier ». Jean-Marie Bretonnier rend cet hommage à nos confrères : « L’information vient de gagner une bataille et de récupérer deux journalistes qui ont payé de leur liberté notre droit de savoir ».
Véronique Durand, dans l’éditorial qu’ elle leur consacre dans la Croix du Nord qui paraît ce vendredi ne dit pas autre chose : « Seront-ils accueillis comme des héros, par les mêmes responsables politiques qui avaient lâché des déclarations malheureuses au lendemain de leur capture ? » Et à propos de la liberté et de l’indépendance de la presse, la journaliste catholique reprend les paroles de Mgr Podvin (ancien étudiant de l’ESJ de Lille – ndlr) « Le Christ dit que la vérité rend libre ».
Ludovic Finez, qui signe l’éditorial de Liberté Hebdo de ce vendredi ne se fait aucune illusion : « Une résolution de l’ONU impose aux gouvernements de garantir la sécurité des journalistes en zones de conflit. Mais, en France, c’est désormais le président de la République qui nomme les responsables de l’audiovisuel public. Nicolas Sarkozy ne s’est jamais privé, non plus, d’intervenir dans la vie des médias. Lors de l’ouverture du capital du Monde, il avait fait part à la direction du journal de sa préférence pour un des trois candidats… Comment s’étonner que le pouvoir actuel s’agace quand les journalistes sortent des sentiers battus ? »
« Contrairement à ce que certains affichaient, lance Patrick Pépin dans l’éditorial de Nord Eclair, la libération d’Hervé et Stéphane n’est pas qu’une affaire de journalistes. Elle était une question de citoyenneté ». Pour lui, si « rien ne doit assombrir ces instants de joie », il faut s’attendre à « une phase plus sombre, plus tortueuse. Le temps des questions légitimes et inconvenantes. Pourquoi leur libération a-t-elle tant tardé ? A-t-on vraiment fait le nécessaire ? A-t-on dû payer une rançon ? Les autorités afghanes ont-elles été complices ou coopérantes ? ….. ». Enfin, il s’en prend aux preneurs d’otages : « Il y a en effet une cruelle lâcheté dans cette tactique guerrière qui consiste à faire d’un seul ou d’un groupe le représentant de toute une communauté. »
Précisément, La Voix du Nord rappelle qu’il reste encore huit otages français retenus à l’étranger.
Philippe Allienne