Les frères Alain et Eric Bocquet, ont commencé à s’intéresser au sujet de la fraude fiscale par le biais de leurs travaux en commissions parlementaires. Estomaqués par l’ampleur du phénomène qu’ils ont alors découvert, ils ont décidé d’utiliser la base de données constituée lors de la rédaction de ces rapports pour écrire « Sans Domicile Fisc ». « Nous voulons casser le mythe selon lequel il n’y aurait plus d’argent dans le monde, explique Eric Boquet. Et démontrer que les fraudeurs ne sont pas toujours ceux que l’ont croit ».
- Alain Bocquet, Eric Bocquet et le journaliste Pierre Gaumeton qui a participé à la rédaction de l’ouvrage
Affaire Clearstream, Swissleaks, Panama Papers, Luxleaks, Offshore Leaks etc. Les scandales autour de l’évasion fiscale se suivent. Ces montages financiers opaques, flirtant avec les limites de la légalité et de la moralité, représentent une perte de 60 milliards d’euros chaque année pour la France, l’équivalent du déficit du pays. Au niveau européen, le manque à gagner serait colossal : les sommes soustraites aux impôts y sont estimées à plus de 1000 milliards annuellement.
« Je salue le rôle des journalistes qui ont pris ces affaires en main et les ont révélées au grand public » Alain Bocquet
Les deux parlementaires aimeraient que les sujets de la fraude et de l’évasion fiscales soient pris en compte dans la campagne de l’élection présidentielle de 2017. Alain Bocquet ne mâche pas ses mots : « Nous sommes dans un moment charnière contre ces pratiques qui mettent en péril la démocratie. Après ces scandales, nous sentons une prise de conscience se développer. Des ONG, des lanceurs d’alertes, des journalistes, des élus commencent à s’emparer du sujet et à le médiatiser. Le monde de la culture s’y met aussi : des films, des livres, des documentaires sur ce thème commencent à sortir. La société civile doit jouer son rôle et obliger les gouvernements à bouger. » Malgré leur optimisme, les deux élus savent que de tels changements en profondeur demandent du temps. C’est selon eux le combat d’une génération. « C’est pour cela que nous avons dédié le livre à nos petits enfants. »
Mais malgré toutes ces évolutions, les deux élus reconnaissent que des freins sont à l’œuvre. La triche a toujours un temps d’avance. Il y a 20 ans, pour se soustraire aux impôts, les fraudeurs passaient des valises de liquide en Suisse. Aujourd’hui ils ouvrent des comptes offshore dans les paradis fiscaux.
« La fraude, c’est peanuts !! »
« Mais la fraude, c’est peanuts !! C’est une goutte d’eau comparé à l’évasion, à la triche légale. Si il y a un voile à lever, c’est le burkini de la finance ! » poursuit Alain Bocquet. Pour illustrer ces propos, son frère Eric cite l’exemple de l’imposition d’Apple en Irlande qui a défrayé la chronique récemment. Le pays, ou est situé le siège d’Apple, a proposé une réduction de 13 milliards sur ses impôts à la société. Cette somme correspond à 20 % des recettes fiscales de l’Irlande. « A l’heure ou les Irlandais recommencent à émigrer car ils ont peu d’avenir chez eux, le pays aurait pu, avec cet argent, construire 20 hôpitaux, supprimer l’impôt foncier ou multiplier par 3 le nombre de logements sociaux » précise Eric Bocquet.
Le taux d’imposition des sociétés est de 33 % en France. Il s’élève à 12 % en Irlande. Apple n’a payé que 0,05 % d’impôt. Les multinationales décident désormais elles même ou et combien d’impôts elles paieront en mettant les états en concurrence les uns avec les autres. « L’Europe doit s’harmoniser fiscalement et socialement, affirme Alain. « Au lieu de légiférer sur la courbure des concombres » surenchéri Eric.
L’importance des mots : évasion ou optimisation ?
Dans ce combat, les mots sont importants. L’élément de langage « optimisation fiscale », est apparu ces dernières années pour changer l’image de certaines pratiques. Selon un sondage réalisé par Odoxa dans la foulée des Panama Papers, 80 % des français trouveraient normal de pratiquer l’optimisation fiscale s’ils en avaient les moyens, alors que seuls 20 % voient d’un bon œil l’évasion fiscale. « Ces deux termes sont pourtant synonymes », expliquent les deux élus. L’optimisation tout comme l’évasion consiste à jouer avec les limites et les failles de la loi pour payer le moins d’impôts possible. A ce jeu, les sociétés trans-nationales sont les championnes.
Les deux parlementaires déplorent que la finance ait mis la main sur les pouvoirs publics : « Venir de la banque Rothschild pour aller au gouvernement, c’est de l’entrisme. » Et de poursuivre avec de nombreux exemples : « Barosso qui est parti chez Goldman Sachs, était déjà chez Goldman Sachs en tant que président de la Commission européenne... Le directeur du Trésor Bruno Bézard a quitté sa fonction au bout de deux ans pour devenir responsable d’un fonds d’investissement franco-chinois en partie domicilié aux Bermudes. Cette personne détient toutes les ficelles de la fiscalité française, le carnet d’adresse et les secrets d’Etat. Il faut arrêter le bal des hypocrites. » Eux même, lors de leur seconde commission d’enquête ont subi des pressions. Après qu’ils aient interroger Jérôme Kerviel, le Directeur Général de la banque Société Générale Frédéric Oudéa a adresséun courrier courroucé au Président du Sénat Jean-Pierre Bel.
La fraude n’est que très rarement condamnée, affirment les deux frères en faisant allusion au verrou de Bercy : « Dans notre pays, la justice ne peut pas sanctionner quelqu’un qui a fraudé le fisc. C’est le Ministre du budget qui décide des poursuites. » Bercy fait alors du troc, du commerce, toujours plus avantageux pour les tricheurs qu’une condamnation en justice. « Je vous met au défi de trouver une personne qui a fraudé le fisc et qui serait actuellement en prison ». Alain Bocquet prend l’exemple de Mac Donald, qui avait soustraie deux milliards d’euros aux impôts mais, après négociation n’en a payé que 300 millions.
Mais même si la tache paraît ardue, les frères Bocquet ont l’espoir que la situation évoluera dans le bons sens. « Nous devons leur mettre la pression si nous ne voulons pas subir la dictature soft de la finance », préconisent-ils. « Il existe une arme qui marche bien avec les politiques mais dont on ne se sert pas assez contre les sociétés malhonnêtes, c’est celle de la réputation. »
Dans cette restauration démocratique, les journalistes d’investigation ont un rôle à jouer en enquêtant pour dénoncer les agissements frauduleux et immoraux dont ils ont connaissance.
SC
« Sans domicile fisc », par les frères Bocquet, Alain et éric, 270 p. éditions du Cherche-Midi 17,50 €.