La « fête des mères inconnues ». Organisé en mai 2001 par des personnes nées sous X, cet événement avait fait l’objet d’une double-page dans Libération. « Dimanche, c’est Fête des mères. Samedi, ils se réuniront à 15 heures au Trocadéro (Paris), place Bellecour, et à Clermont-Ferrand, pour célébrer une ombre. Nés sous X ou abandonnés, ils cherchent tous leur "mère de naissance" et d’éventuels frères et sœurs », écrit alors la journaliste Blandine Grosjean, qui ajoute : « Exceptionnellement, "Libération" a décidé d’en aider quelques-uns dans leur quête ». Sur une colonne, le journal liste quelques noms, avec date et lieu de naissance et fait le portrait de quelques autres. Parmi eux, Myriam et Agnès, deux habitantes du Nord-Pas de Calais. Les deux femmes se connaissent et quelques mois après la parution de cet article, elles créeront l’association « d’Origine inconnue ». « Nous étions toutes deux nées sous X, à la recherche de nos origines. […] Nous étions tout le temps rembarrées, il n’y a pas d’info qui circule », raconte Agnès Quantin, devenue depuis coordinatrice de l’association.
« Des sujets extrêmement tabous »
Aujourd’hui, l’association compte près de 400 adhérents, de toute la France et de l’étranger. « L’accouchement sous X, la naissance sous X, l’abandon, l’adoption… ce sont des sujets extrêmement tabous. C’est une grande souffrance. Beaucoup de personnes attendent le décès de leurs parents adoptifs pour faire des recherches », confie Agnès Quantin. Le premier contact avec l’association se fait généralement par mail (1), rarement par téléphone. D’Origine inconnue peut conseiller et prêter main forte à une recherche. Pour toute personne désirant découvrir ses origines, le point de départ se situe au Conseil général du département de naissance, où il est possible de consulter son dossier, parfois après plusieurs mois d’attente. Une fois les documents en main, encore faut-il savoir les lire et où dénicher les pistes possibles : « Plusieurs fois, les personnes n’avaient pas vu que la maman avait signé et que son nom figurait donc dans le dossier », illustre Agnès Quantin. Il arrive que quelqu’un se contente d’avoir fait une partie du chemin seulement. Comme cette adhérente, satisfaite pour le moment d’avoir retrouvé le prénom de sa mère : « Elle a au moins un élément auquel se rattacher. » Mais les recherches peuvent aussi être chaotiques sur le plan psychologique : « Beaucoup commencent, abandonnent, reprennent, abandonnent à nouveau… »
- Agnès Quantin, la coordinatrice de l’association "D’Origine Inconnue" (photo Philippe Armand)
Il est déjà arrivé qu’une personne née sous X apprenne son adoption de la bouche d’un notaire, au moment de signer l’acte d’achat d’une maison… Agnès Quantin se souvient également de cette mère à la recherche de sa fille. Une fois retrouvée, il se révèle que cette dernière « avait fait des choses très graves ». L’association a préféré attendre six mois avant de révéler ces informations et d’organiser une rencontre. « Aujourd’hui, la mère n’a plus ce sentiment de culpabilité », raconte Agnès Quantin. Pour autant, la fille n’a pas désiré qu’un lien soit rétabli.
Les difficultés sont aussi d’ordre administratif. Malgré la loi qui permet à chacun d’accéder à son dossier, des blocages existent. « Ici, dans le Nord, ils sont très bien, ils font bien leur travail, mais ce n’est pas partout pareil »(2), juge la coordinatrice de l’association.
« Je peux apporter mon vécu, mon histoire »
Dans les recherches qu’elle effectue, Agnès Quantin se garde d’un quelconque transfert sur les personnes qu’elle aide. En revanche, « ce que je peux apporter, c’est mon vécu, mon histoire », ajoute-t-elle. Née à Bourges, elle a « recherché [sa] mère à 18 ans ». « On m’a dit que j’étais née sous X et qu’il n’y avait rien dans mon dossier », explique-t-elle. Des années plus tard, on lui ressort le même discours. Sauf que là, elle s’accroche et finit par récupérer 30 pages, qui la renseignent notamment sur ses familles d’accueil. Elle y lit également « un rapport psychologique confidentiel » sur sa personnalité, alors qu’elle est encore enfant. Agnès Quantin a fini par retrouver sa mère, un frère et deux sœurs. Son frère et une de ses sœurs ont accepté de la rencontrer, pas la seconde. « Je respecte cela, insiste-t-elle. Elle sait que j’existe. Le jour où elle voudra me rencontrer elle le pourra. » Quant à sa mère, elle l’a reçue avec des mots très durs et très crus : « Quand je l’ai rencontrée, elle m’a dit : "Tu n’es rien pour moi ! " »
- Le Noël 2006 a permis au Club de la presse de remettre un chêque de 4400 € à l’association « AJS pour l’emploi et la solidarité »
Les sentiments éprouvés par ceux qui veulent recoller les morceaux de leur histoire sont divers. « Il y en a qui haïssent cette mère, qui disent : "Je vais lui crier ma colère !" », témoigne Agnès Quantin. Autre cas « classique » : « Souvent, ils se disent : "Si j’ai été abandonné, c’est parce que je suis nul". Cela vous poursuit. » De façon générale, quand quelqu’un retrouve sa mère, elle « a refait sa vie » et les liens sont rarement renoués de façon durable. Quant aux recherches de paternité, elles sont peu nombreuses. « On ne parle pas du père biologique parce que, dans le dossier, il y a rarement le nom du père. Pour retrouver le père, il faut retrouver la mère », résume Agnès Quantin.
Pour son cas personnel, c’est « la rage » qui l’a lancée dans cette quête : « J’étais une enfant très agressive, qui avait beaucoup de mal à trouver sa place dans ma famille [adoptive]. » A 17 ans, elle a d’ailleurs quitté son foyer adoptif. « Ma façon de pallier cette souffrance, c’était de créer ma propre famille. Je me suis mariée très jeune et j’ai eu deux enfants très tôt. » « L’association m’a permis d’évoluer et de me dire que j’étais utile à quelque chose », ajoute-t-elle.
50 recherches abouties depuis 2001
Outre les recherches – quatre ont abouti cette année et 50 depuis 2001 –, d’Origine inconnue s’occupe également de prévention. L’association est ainsi allée à l’Ecole de magistrature de Bordeaux. Elle s’est également déplacée à l’école d’infirmiers de Dunkerque, avec un message qui peut se résumer en une phrase : « S’il vous plaît, prenez un maximum d’éléments sur la mère qui vient d’accoucher », y compris des détails de description physique. L’association reçoit par ailleurs des appels d’éducateurs quelque peu désemparés : « Une famille peut adopter un enfant et quand ça devient difficile, à l’adolescence, le mettre dans un foyer… » La prévention pourrait aussi concerner les enfants : « En 2007, dans les cours d’écoles, on dit encore "bâtard". » Information, enfin, dans les services de santé : « On rencontre encore des hôpitaux où, comme par hasard, les dossiers ont brûlé… »
Un débat au Club de la presse en début d’année prochaine
Au moment où l’article de Libération était publié, le Parlement s’apprêtait à examiner un projet de loi signé Ségolène Royal, alors ministre de la Famille. « La loi ne consacre pas le droit absolu à connaître ses origines, mais elle permettra de créer une passerelle entre ceux qui cherchent à se retrouver et ne rencontrent, le plus souvent, que des obstacles administratifs », écrivait alors Blandine Grosjean. Cette loi a notamment créé le CNAOP (Conseil national pour l’accès aux origines personnelles), l’organisme qui gère les démarches de recherche de la mère biologique lorsqu’il il y a le moindre soupçon d’une volonté de non dévoilement de cette identité. Agnès Quantin considère la création de CNAOP comme « une étape », mais pas comme la solution à tous les problèmes. « Aujourd’hui, nous [l’association d’Origine inconnue, NDLR] n’avons pas de rapport avec le CNAOP », regrette-t-elle par exemple. Cette question et beaucoup d’autres devraient être abordées à l’occasion d’un débat organisé prochainement au Club de la presse (3).
L’association est confrontée à une rotation importante de ses adhérents qui, une fois leur but atteint, passent souvent à autre chose. Par ailleurs, elle dispose de peu de moyens. Les adhésions, ainsi que les quelques aides qu’elle reçoit, lui permettent de boucler un budget annuel d’environ 15.000 euros. Récemment, pour économiser quelques centaines d’euros par an, d’Origine inconnue a dû se résoudre à installer son siège au domicile de sa coordinatrice, à Petite-Forêt. L’aide financière qui sera apportée par le Noël du Club de la presse ne sera donc pas superflue.
L. F.
(1) Site internet de l’association : www.dorigineinconnue.org
(2) Agnès Quantin a eu peu d’occasions de « tester » ces mêmes services dans le Pas-de-Calais. L’association d’Origine inconnue ne peut en effet traiter un nombre trop conséquent de dossiers, au regard de ses faibles moyens.
(2) La date précise, probablement en février, reste à préciser (surveiller notre rubrique « agenda »). Outre Agnès Quantin, devraient participer à ce débat Claude Sageot (président de l’Association des pupilles de l’Etat et des adoptés et membre du CNAOP) et Raphaëlle Cavalier, chargée des questions d’adoption au Conseil général du Nord.
retourner à l’articleMercredi 19 décembre, Palais des Beaux-arts de LilleLa soirée du Noël du Club de la presse aura lieu mercredi 19 décembre, au Palais des Beaux-arts de Lille, à partir de 19h (1). A cette occasion, des visites de l’exposition « L’Atelier de la Monnaie 1957-1972 » seront organisées. Celle-ci retrace l’aventure d’une poignée d’étudiants lillois, non-conformistes, de l’école des Beaux-arts (Roger Frézin, Claude Vallois…), qui avaient créé un atelier dans le Vieux-Lille, rue de la Monnaie. Cette exposition comprend des œuvres de ces artistes mais également d’invités, comme Balthus, Alfred Mannessier… (1) Participation aux frais de 10 euros par personne. Soirée sur invitation. |