Où va le journalisme d’investigation ?

, par communication@clubdelapressehdf.fr

Le site « Médiacités », en partenariat avec le Club de la presse et Sciences Po Lille, a proposé un échange sur le journalisme d’investigation, sa spécialité. Son rédacteur en chef et co-fondateur, Jacques Trentesaux, a réuni les quatre lauréats -catégorie Enquête- des grands Prix et de la bourse du Club 2017. C’était le 4 décembre à l’Institut d’Études politiques.

A en croire le baromètre annuel « La Croix » Kantar Sofres/Kantar Média, les Français font de moins en moins confiance aux médias les médias . En même temps, les médias « mainstream » semblent de moins en moins enclins à consacrer des moyens à l’enquête. Même dans le service public télévisuel, les biens-nommés « cash investigation » et « Complément d’enquête » sont sur la sellette.

Pourtant, s’il y a un genre journalistique capable de réconcilier le grand public et les médias, c’est bien celui-là. C’est ce qu’ont voulu démontrer les témoignages de Caroline Behague, journaliste et réalisatrice, lauréate de la bourse de l’enquête 2017 (à retrouver ici ), Sophie Filippi-Paoli, journaliste à la Voix du Nord, Hélène Fromenty, journaliste à France Bleu Nord, Benjamin Massot, journaliste pour l’AFP, lauréats des Grands Prix 2017 (à retrouver ici).
Nicolas Kaciaf, Maître de Conférences à Sciences Po Lille et chercheur au CERAPS en sociologie du journalisme et des médias, identifie trois profils types d’auteurs d’investigations. Les premiers sont des spécialistes, comme Mediapart et Médiacités, qui affichent la volonté d’être un contre-pouvoir. Leur travail peut-être considéré d’utilité publique. Ils souffrent souvent d’une rentabilité économique difficile à trouver.

Les seconds sont les services d’enquêtes des grands titres, mais ils subissent les effets d’une ré-attribution des moyens vers l’actualité « chaude » qui se vend mieux. Troisième catégorie : les journalistes qui peuvent tous prendre l’initiative de mener une enquête. Nicolas Kaciaf constate que certains d’entre eux rejettent l’étiquette « investigation » que l’on pourrait pourtant penser valorisante. Pourquoi ? On peut penser qu’ils craignent les critiques voulant décrédibiliser les journalistes en invoquant le droit au secret (secret défense ou secret des affaires), la supposée connivence des journalistes ou leur intérêt mercantile (« vous cherchez à vendre du papier »).

La réputation des journalistes n’est pas seule en jeu. Quand la pression passe à un niveau supérieur, elle prend un tour juridique. Faux, usage de faux, recel, vol sont des qualifications utilisées contre eux pour détourner le droit à l’information. Nicolas Kaciaf rappelle que le secret des sources n’est institué en France que depuis 2010 et qu’il a fallu attendre 2016 pour définir le statut des lanceurs d’alertes. Ces derniers sont pourtant à l’origine des plus grandes enquêtes mettant à jour notamment les pratiques financières douteuses de nombreuses banques et grands groupes.

En plus de ces oppositions extérieures, les journalistes peuvent faire face à des résistances internes. Il faut vendre et ne pas oublier que les grands médias appartiennent à des groupes dont les intérêts peuvent être mis en cause par des enquêtes.

L’ADN du journalisme

Caroline Béhague, Hélène Fromenty, Sophie Filipi-Paoli, Benjamin Massot et Nicolas Kaciaf

Malgré toutes ces menaces et difficultés, les cinq journalistes présents lors du débat témoignent tous de leur envie de gratter la surface, d’expliquer, de creuser un sujet. À les écouter, on se rend compte que l’enquête est indissociable du journalisme. Pour Jacques Trentesaux, elle est nécessaire pour pointer les dysfonctionnements de la société. Médiacités s’y emploie activement depuis son lancement et a déjà mis à jour plusieurs affaires, notamment celle des notes de frais du directeur de l’Opéra de Lyon.

Sophie Filippi-Paoli a réalisé une partie du hors-série de la Voix du Nord consacré aux djihadistes du Nord. Elle souligne l’importance du soutien de la rédaction et de ses collègues qui lui ont permis de travailler à temps plein pendant deux semaines sur le sujet. Même problématique de temps pour Benjamin Massot qui a enquêté sur les trafics de drogue à Lille tout en assurant le suivi quotidien de l’actualité pour l’agence lilloise de l’AFP.

L’autre nerf de la guerre c’est l’argent, évidemment. Pour concrétiser son projet d’enquête sur l’industrie minière en Nouvelle-Calédonie, Hélène Fromenty a pu compter sur une bourse du Conseil Régional. 10 000€ investis dans la logistique, le matériel, la rémunération d’un info-graphiste. Au final, un très beau web-documentaire diffusé sur le site d’Arte via un partenariat, mais un travail « gratuit », car la journaliste n’a pas touché de salaire. Même problématique pour Caroline Béhague qui a utilisé les 1000€ de la bourse Enquête du Club de la presse pour concrétiser son projet de reportage sur les religions et les conversions dans le quartier de l’Epeule, à Roubaix. Mais pour une pigiste, la frontière entre travail et vie personnelle est mince, difficile de compter ses heures, surtout quand on travaille seule.

La « bataille de l’attention ».

Pas de doute sur l’envie des journalistes. Chacun à leur façon, les participants à la table ronde ont montré leur implication : prise de risques, investissement personnel, acceptation de contraintes diverses. Pour sa part, Jacques Trentesaux a franchi le pas de la création d’entreprise en lançant média spécialisé et en travaillant avec des journalistes des régions où il est implanté.

Reste le rôle du public. Les journaux ne peuvent réellement être indépendants que s’ils ont des ressources propres. Cela va à l’encontre de l’impression que « tout est gratuit » que peut donner internet.

Les médias eux aussi doivent faire des efforts. Jacques Trentesaux explique que « les scoops sont vite repris et la source n’est pas toujours citée. Le média d’origine ne récupère pas toujours tout le bénéfice de son travail ». Et au-delà de ces considérations se pose la question de la « bataille de l’attention ». La hiérarchie des informations est aujourd’hui bouleversée par les sources d’informations qui se multiplient, les notifications qui sollicitent le cerveau à un rythme effréné via l’incontournable smartphone.

L’avenir, c’est peut-être aussi un renouvellement des méthodes de travail. Le Consortium international des journalistes d’investigation (https://www.icij.org/) en est un bel exemple. L’organisation, qui regroupe plus de 200 journalistes dans 70 pays, est impliquée dans Paradise Papers et Panama Papers, Offshore Leaks, Luxmbourg Leaks, Swiss Leaks. Cette union permet à la fois de traiter les quantités énormes de données que représentent ces dossiers et assure une plateforme de diffusion à l’échelle planétaire.

Texte : Nicolas BAILLY
Vidéo (prise de vue et montage) : Xiaohan SHI


 

 

 

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